CLÉ D’ÉTRANGLEMENT FATALE À DRANCY : INCOMPRÉHENSION AUTOUR DU NON-LIEU ACCORDÉ AU POLICIER
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résumé :
Le 24 mai 2019, à Drancy, Philippe Ferrières, 36 ans, a été tué par un policer. Lors d’une interpellation mouvementée, celui-ci l’avait attrapé au cou pour le maîtriser. Philippe est décédé peu après.
Il avait interdiction d’approcher son ex-femme. Ce jour là, il a tenté d’entrer de force chez elle et elle a appelé la police (1). Selon un des 3 policiers présents, il était agressif et « excité mais gérable ». Néanmoins, il semble que Philippe ait résisté à son interpellation. Les policiers lui assènent des coups de poing au ventre et au visage puis un coup de matraque à la cuisse. Puis ils l’amènent au sol ventre à terre. Alors, le brigadier Pierre-Yves A. se place à califourchon sur Philippe et lui inflige une clé d’étranglement avec son avant-bras (2) .
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Il prétendra que cette clé a duré 3 à 4 secondes, mais le beau-fils de Philippe, un jeune adulte qui était présent, dit, lui, que « ça a bien duré 10 secondes ». Toujours est-il que Philippe ne réagit plus, son pouls est fuyant. Le Samu et les pompiers n’y pourront rien, Philippe est décédé.
L’autopsie réalisée dira qu’il y a eu « mort par asphyxie par compression cervicale ». Elle dira aussi que la victime avait consommé de l’alcool et de la cocaïne.
Les 3 policiers sont d’abord mis en examen pour « homicide involontaire par violation d’une obligation de prudence, en employant la force de manière disproportionnée ». Mais en décembre 2022, le juge d’instruction décide d’un non-lieu pour deux des trois policiers et renvoie le seul Pierre-Yves A. en correctionnelle. La famille de Philippe fait alors appel de cette décision, mais elle perd. La famille décide alors d’aller en cassation où elle obtient gain de cause. Donc l’affaire revient devant la chambre d’instruction où l’avocat de la famille, maître Jean-Eric Callon, demande une requalification des faits en « violences volontaires ayant entraîné la mort » et le renvoi des 3 policiers en assise. La procureure, elle, requiert un non-lieu pour les trois. Elle s’appuie sur « un spécialiste des techniques de la sécurité en intervention » (3) qui a déclaré que la clé d’étranglement était « nécessaire et proportionnée » car l’individu avait « continué à résister ». Il précise aussi que cette technique est « d’un maniement difficile » et que, selon lui, dans ce cas il fallait une adaptation des techniques, c’est à dire que les 3 policiers pouvaient s’affranchir des règles. Par ailleurs, les policiers de Seine-Saint-Denis n’avaient reçu aucune formation aux techniques d’intervention depuis 2015 (4). Finalement, le 4 mars 2024, la cour a conclu qu’il n’y avait aucune raison de poursuivre les 3 policiers car ils ont « commis des gestes volontaires ayant pour but d’interpeller l’homme qui leur résistait ». Des gestes « commandés par l’autorité légitime et donc excusables » (5). C’est donc, à nouveau, le non-lieu.
Pour le père de Philippe, « C’est incohérent. La justice reconnaît des choses puis elle ne les reconnaît plus ». « Ce non-lieu, c’est comme rien ne s’était passé pour mon fils » . « Je n’ai rien contre la police, mais j’ai l’impression que les policiers bénéficient de plus d’impunité que le commun des mortels ». La famille a décidé de se pourvoir à nouveau en cassation.
Par ailleurs, les 3 policiers ont été traduits en conseil de discipline pour ne pas avoir suffisamment pris soin de la victime en n’appelant que tardivement les secours. L’ex-femme de Philippe avait affirmé qu’après la clé d’étranglement, il avait été laissé 10 à 15 minutes allongé sur le ventre, menotté. Le juge d’instruction a considéré qu’ils avaient « gravement manqué à leurs obligations. Ce qui aurait pu priver Philippe Ferrières d’une chance de survie ». On a retiré son arme à Pierre-Yves A. et il lui a été interdit d’intervenir sur la voie publique.
En 2021, la police nationale a, enfin, abandonné la clé d’étranglement. Ceci suite à l’émoi considérable causé par par la mort de Cédric Chouviat tué par un policier qui avait utilisé cette clé (6) .
Remarques et commentaires de l’Antimedias :
(1) Elle dira : « J’ai appelé la police pour le protéger de lui-même, pas pour qu’on le tue »
- Ici, il faut ajouter un élément qui n’apparaît pas dans cet article mais qui était présent dans plusieurs articles antérieurs parlant de ce drame ( France Bleue, Le Point, RTL ) : en fait le policier n’a pas seulement pratiqué quelque chose qui ressemble de près ou de loin à une clé d’étranglement, il a déclaré avoir « passé un avant-bras sous le coup de Philippe et avoir exercé « un coup sec sous le menton » et aussi « peut-être que je n’ai pas su gérer mon adrénaline »
- L’article ne dit pas qui est ce spécialiste, mais il est probable que c’est un policier
- Selon ce spécialiste, voilà donc des policiers peu formés à la clé d’étranglement, qui est pourtant « d’un maniement difficile », mais qui peuvent s’affranchir des règles de cet « art » ( règles qu’ils connaissent d’ailleurs probablement mal ) et qui peuvent donc pratiquer cette clé à peu près n’importe comment, au motif que l’interpellé aurait résisté. En clair, il est donc légitime que des policiers mettent en danger de mort une personne pour la seule raison qu’elle résiste à une interpellation. A ce compte là, les policiers peuvent tuer, par exemple, n’importe quelle personne ivre qui résiste un peu.
- Alors, il faut se retenir pour ne pas hurler : ce jugement signifie que, dès que des policiers commettent des gestes qui sont commandés par l’autorité, (c’est à dire, en fait, dès qu’ils sont en fonction ) ils sont excusables de tuer une personne au seul motif que celle-ci leur résistait !
- Il ne faut pas oublier que si la mort de Cédric Chouviat a causé cette émotion et cette mobilisation (contrairement à celle de Philippe Ferrières et à bien d’autres) c’est parce qu’elle a été filmée et mise sur les réseaux sociaux. On ne saurait trop recommander de filmer la police.