CONTRÔLES D’IDENTITÉ : UN CHIFFRE NOIR ET DES RÉSULTATS FLOUS

Médiapart


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Note de lecture
À la demande de la Défenseure des droits, la Cour des comptes a réalisé une enquête sur les très nombreux contrôles d’identité (CI) réalisés en France par la police et la gendarmerie. En réalité, on ne connaît que de manière imprécise le nombre de contrôles et, par ailleurs, on ne sait pas trop à quoi ils servent. Ce qui est clair, c’est que les agents et agentes des forces de l’ordre font à peu près ce qu’ils veulent lors des CI.

Il n’y a pas de recensement exhaustif des CI. La Cour des comptes pratique donc une estimation qu’elle considère elle-même comme peu fiable et arrive au nombre de 47 millions de CI en 2021, soit en moyenne 9 par patrouille et par jour, dont 20 millions réalisés par la gendarmerie et 27 millions par la police. Parmi ces 47 millions estimés, 15 millions seraient des contrôles routiers.

Concernant l’efficacité des CI, la Cour des comptes précise qu’il existe très peu de données. Elle indique quand même qu’une expérimentation réalisée en 2014 suggère que, sur 2 300 CI réalisés, 4% ont été suivis d’une interpellation *

Les CI constituent une part importante de l’activité quotidienne des agent et agentes des forces de l’ordre et cependant, la hiérarchie ne les recense pas de manière exhaustive. La cour des comptes déplore aussi qu’il n’y ait pas de « réflexion stratégique » sur les finalités des CI. En théorie, ils servent à découvrir ou prévenir des infractions ou des atteintes à l’ordre public, ou à retrouver des personnes recherchées, mais les autorités ne se donnent pas les moyens d’évaluer dans quelle mesure ces objectifs sont atteints.

Pour la cour des comptes, il y a un contrôle insuffisant, tant de la part de la hiérarchie policière que de l’autorité judiciaire. Les officiers de police judiciaire manquent de temps, et la hiérarchie intermédiaire n’est pas assez soucieuse de transmettre les bonnes pratiques ni de veiller à ce que les règles soient respectées. De leur côté, les procureurs et procureures exercent un contrôle très limité et, par exemple, ne s’inquiètent guère du bien fondé des réquisitions** qu’ils et elles accordent ni de l’usage qui en est fait. Pour la Cour des comptes, on en arrive même à ce que des policiers, policières ou des gendarmes décident ex-mêmes d’informer, ou non, leur hiérarchie sur le nombre de CI effectués et sur la façon dont cela s’est déroulé. Et cela rend évidemment plus difficile l’identification de non-respects éventuels de la déontologie.

Au bout du compte, il n’y a pas grand-monde qui contrôle ceux et celles qui pratiquent les CI, pour s’assurer qu’ils et elles « font un bon usage de l’autonomie qui leur est consentie en matière de contrôles. ». Pour la cour des comptes, cela est surprenant vu que les CI font « l’objet d’un débat de longue date dans l’opinion publique ». Etant donné le peu de contrôle exercé sur les agents et agentes, on imagine dans quels interstices peuvent se loger les CI discriminatoires. D’autre part, les statistiques ethniques étant interdites en France, il est difficile d’établir que certains groupes de la population sont plus contrôlés que d’autres et la Cour précise que l’IGPN comme l’IGGN ne sont dotées d’aucun outil qui leur permettrait de surveiller s’il y a discrimination ou non. Sur ce dernier point, la Cour propose les sondages et « l’observation discrète » réalisés par des chercheurs, ou le « testing ».

Pour les agent et agentes, les CI sont nécessaires, mais elles et ils ne sont pas clair-es sur les objectifs de cette pratique. La Cour des comptes a rencontré des agents et agentes et « chacun ou chacune avait son idée, fruit de son expérience personnelle, pour définir et justifier sa pratique des contrôles d’identité »

Les agents et agentes sont donc, quasiment, seul-es à décider qui ils et elles vont contrôler (pour ce qui est des contrôles routiers, ils ont même toute latitude pour en décider) et s’il y a lieu de pratiquer une palpation de sécurité, ou s’ils vont consulter les fichiers de police ou gendarmerie. Bien que ces actes, palpation et consultation des fichiers, n’aient rien d’obligatoire, la Cour des comptes constate qu’ils deviennent systématiques. Elle rappelle aussi que, selon le code de la sécurité intérieure, la palpation devrait être utilisée pour détecter si la personne a sur elle un objet dangereux (couteau par exemple) et pas pour rechercher si elle détient des stupéfiants.

Les citoyens peuvent toujours contester un CI ou la façon dont il s’est déroulé, en portant plainte, en saisissant la Défenseure des droits, ou en signalant le problème à l’IGPN (ou l’IGGN dans le cas de la gendarmerie), mais ces recours sont peu utilisés. L’IGPN se dit peu informée des suites données à ces recours et déclare donc ne pas pouvoir établir d’appréciation d’ensemble.

La Cour des comptes estime que les caméras-piétons, dont la technologie s’est améliorée, permettraient d’améliorer la situation. Un expérimentation peu concluante avait été réalisée en 2017, 2018, mais la Cour pense qu’il en faudrait une nouvelle où on utiliserait les caméra-piétons améliorées.

Enfin, la Cour des comptes rappelle que le récépissé de CI est institué au Royaume-Uni et dans certaines régions d’Espagne. Vue l’opposition maintes fois réitérée du ministère de l’intérieur sur ce point, elle propose « la conservation et le traitement des données relatives aux contrôles d’identité dans les terminaux Neo, utilisés par les policiers et les gendarmes ». Et aussi que les agents et agentes expliquent oralement aux personnes contrôlées, les motifs du contrôle.